En juin 1810 Jean-Louis Raoul (1751-1844), un industriel fabricant de limes, originaire de l’Aveyron achète aux héritiers de la famille Pinon de St Georges en particulier à Mlle Angélique l’hôtel où elle habitait. À ce moment seulement ce bel hôtel devient l’hôtel Raoul. Lors de cette transaction la description correspond là aussi très exactement à l’hôtel reproduit sur le plan de Turgot, qu’on en juge : « Cette maison, sise à Paris, rue Gérard Beauquet n° 4, division de l’Arsenal, qui a son entrée par une porte cochère, est entre cour et jardin avec bâtiment en aile ; elle est élevée d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage, d’un second en mansarde et un grenier au-dessus, caves sous ladite maison, écurie ayant une porte sur la rue du Petit-Musc pour la sortie du fumier, remises, cour et jardin. ». Une particularité curieuse réside dans l’importance des glaces dans l’hôtel qui sont détaillées dans l’acte de vente « et qui ne font point partie de l’immeuble, n’étant pas encadrée dans la boiserie. » : au total 28 miroirs d’une surface totale de 24 m2 ! La transaction est réalisée pour la somme de 28 000 francs (germinal) pour l’immeuble et 4 000 francs pour les glaces. On estime que cela est équivalent à 75 000 € de nos jours. Il faut dire que les glaces de l’époque, en verre épais avec une surface réfléchissante au mercure, étaient bien plus rares et précieuses que les miroirs contemporains.
Jean-Louis Raoul |
Jean-Louis Raoul (1751-1844), fabricant de limes à Paris, originaire de l’Aveyron Il fut plusieurs fois primé lors des Expositions publiques des produits de l’industrie française en 1798, 1801, 1802 et 1806 [Mol24]. Son mariage à Amboise en 1792, lieu de l’entreprise Saint-Bris – autre fabricant de limes plusieurs fois médaille d’or après 1819 – pourrait expliquer ce détour entre le Rouergue et Paris. En tout cas son succès provient de l’exploitation d’un brevet (d’origine anglaise) qui accroît la dureté et la solidité des limes. Tous ces enfants naissent à Paris et sont baptisés à Notre-Dame ; il loge en effet dans l’immeuble de la Maîtrise de Notre-Dame. Sa tombe au Père-Lachaise, un sarcophage sans signe religieux apparent, rappelle sa naissance au Monastère-Cabrespines (Aveyron) et porte une inscription aux résonances maçonniques : « Passants, donnez à l’homme de bien, un souvenir, au père de famille, une larme, au citoyen, un regret » |
Assez rapidement Jean-Louis Raoul installe dans la basse-cour, forges, enclumes, ateliers, soufflets, nécessaires à sa fabrication de limes. De même il fait bâtir plusieurs étages supplémentaires, avec des logements offerts à la location. Le cadastre dit « napoléonien » dressé vers 1820 restitue le plan détaillé de l’hôtel de ce début du XIXe siècle.
Sur cette photo [Hil63], l’horloge aux Dauphins, autre reste de l’hôtel Raoul, est encore en place sur le balcon de l’ancienne construction juste au-dessus de la porte d’entrée de l’immeuble. Fabriquée par Perret (inscription sur le cadran), les spécialistes pensent que cette horloge date des années 1850-1880. Il est à noter que l’on reconnaît les motifs des balcons en fer forgé de style Louis XV [Gad94] qui ont été réutilisés pour certaines des fenêtres de l’immeuble actuel. |
L’hôtel de Jean-Louis Raoul
En 1960, le portail qui marquait son entrée était au 6 rue Beautreillis et s’ouvrait sur une cour pavée au fond de laquelle, quasiment à l’emplacement de la porte arrière de l’immeuble présent, se trouvait la porte d’entrée principale de l’hôtel. Sur la fenêtre au-dessus de la porte était installée l’horloge aux dauphins. On y remarquait [Del06] « des boiseries et des croisées dorées qui ont conservé quelques vitres de l’époque de Louis XV ». Les anciens voisins se rappellent de fenêtres avec vitraux et du jardin orné d’une statue et d’un bassin avec des poissons rouges qui s’étendait vers la rue du Petit-Musc.
Références
[Del06] Cléon Delaby, Démolitions rue Beautreillis, La Cité, tome III p.232-35, 1906-07
[Gad94] Alexandre Gady est un grand spécialiste de l’histoire du Marais et de son architecture. Il écrit : « L’immeuble qui [le] remplace l’hôtel Raoul est une des hontes du Marais. » Ce verdict sans appel sur l’immeuble où j’habite est pour beaucoup dans ma motivation à sauver ces vestiges. Par la suite, ses encouragements m’ont été très valables, et ses ouvrages permettent de se retrouver dans les styles architecturaux. J’ai plus particulièrement consulté son livre, Le Marais, Éditions Carré, 75011 Paris, 1994.
[Hil63] Jacques Hillairet et son Dictionnaire historique des rues de Paris, aux Éditions de Minuit reste bien sûr une référence incontournable, permettant d’appréhender rapidement l’essentiel de l’histoire d’un lieu précis, mais on apprend, au fil des recherches, à se méfier des petites inexactitudes.
[Mol24] Jean-Gabriel de Moléon, Description des expositions des produits de l’industrie française, faites à Paris depuis leur origine jusqu’à celle de 1819 inclusivement…, Bachelier, Paris, 1824. Cote Biblioth. CNAM ; : CNAM 8° Xae 9 & (p.282)