Les propriétaires qui vont se succéder pendant deux siècles, jusqu’à la Révolution sont tous des personnages importants, proches du pouvoir, conseillers du Roi, trésorier de l’épargne, hauts magistrats au Parlement de Paris. À noter que cette partie du Marais est privilégiée par ces hommes de robe. Leurs biens immobiliers se répartissent dans toute la France mais tous possèdent un ou plusieurs de ces hôtels particuliers qui fleurissent dans le Marais. Ces familles sont toutes apparentées à la fois par les mariages et par les affaires. L’hôtel « Raoul » passera, au gré des successions et des unions, d’une famille à l’autre mais avec une continuité que l’on peut suivre à travers les actes notariés.
Le plan, dit de Turgot, vers 1735 montre clairement l’hôtel qui a précédé l’immeuble actuel au centre du pâté de maisons et s’ouvrant vers le nord-ouest. À noter que si la rue du Petit-Musc et celle de la Cerisaie portent leurs noms actuels, notre pâté de maisons est bordé au nord par la rue des 3 Pistolets et à l’ouest par la rue Gérard Bocquet : seul le prolongement nord s’appelle alors rue Beautreillis. Accolé à l’église des Célestins, le cloître du couvent était un des plus beaux de Paris [Hil63]. À noter que l’immeuble ancien au 22, rue du Petit-Musc ressemble beaucoup à celui représenté sur le plan. |
Le Président Ardier (vers 1595-1672)
Après avoir acheté une maison rue Beautreillis en 1633, il s’installe après le décès de sa mère, Suzanne Phélypeaux, dans « la grande maison » qu’a fait construire son père rue Girard Bocquet. Sa carrière débute très tôt, en 1610 comme commis aux Affaires étrangères aux côtés de ses oncles Phélypeaux. Il se fait très vite remarquer par le ton de ses notes et de ses dépêches. Il est mêlé de près aux affaires du royaume, suit le roi et Richelieu au siège de La Rochelle. En 1626, il est nommé principal commis aux Affaires Étrangères. Tout en gardant son emploi de aux Affaires étrangères, il devient en 1622 trésorier de France et général des finances à Paris. Enfin, en janvier 1634 il devient président de la chambre des Comptes de Paris. Grâce aux travaux de Mme Chablat [Cha94], on réalise la fortune de ces grands financiers, dont le patrimoine immobilier, pourtant composé de l’hôtel qui nous occupe et de ce château de Beauregard, n’est qu’un faible pourcentage (5 %) de leur patrimoine. Ses deux filles aînées devinrent religieuses, son seul fils mourut à 18 ans, c’est ainsi que seule sa fille Marie Ardier hérita de tous ses biens. |
Gaspard de Fieubet (1626-1694)
Tout comme le château de Beauregard, l’hôtel « Raoul » se retrouve par succession dans les mains de Marie Ardier, petite fille de Paul Ardier et épouse de Gaspard de Fieubet, chancelier de la reine Marie-Thérèse. Auteur de petits vers bien faits, qui avec lui couraient les ruelles, c’était un homme de plaisir, d’une politesse d’esprit fort agréable aux gens de lettres dont il aimait la société. En 1677 Gaspard de Fieubet habite l’hôtel qu’il s’est fait construire au 10 rue des Lyons quand il vend pour 60 000 livres le futur hôtel Raoul à Paul Legendre, seigneur de Lormoy et à son épouse Françoise de Chaulnes. L’argent de cette vente va lui permettre de faire reconstruire par Jules-Hardouin Mansart l‘hôtel de Fieubet au coin du quai des Célestins que nous connaissons aujourd’hui. Marie Ardier son épouse meurt en 1685 sans descendance et Gaspard de Fieubet, après son veuvage, se retira aux Camaldules – un monastère bénédictin très austère – près de Grosbois, où il trépassa en 1694. |
Les Legendre
Paul Legendre (1619-1713), chevalier, seigneur de Lormoy, habite effectivement l’hôtel rue Girard Bocquet en 1668 comme il est noté dans le Terrier du Roi. Sa mère, Marguerite Ardier, est une nièce du bâtisseur de l’hôtel, Paul Ardier. Il fait lui aussi partie des conseils d’État et privé du roi, est intendant de Police et des Finances dans les Armées de Sa Majesté, en Champagne et au pays de Luxembourg, puis Procureur général du Roi en sa Cour de Parlement de Metz, séant à Toul en l’an 1654. Ensuite on le retrouve conseiller du roi, Maître des requêtes, secrétaire du Cabinet du roi, il meurt le 31 octobre 1710 et est enterré à dans le cimetière Saint-Paul.
Sa fille Louise Legendre (1665-1749) par son mariage en 1688 avec Anne Pinon, vicomte de Quincy (1652-1721) veuf de Catherine LeBoulanger, apporte l’hôtel « Raoul » dans cette famille.
Le mariage de 1688 nous fait connaître Maître Jacques Legendre, docteur en Sorbonne, chanoine de Paris, demeurant rue « Girard Beauquet », (dans l’hôtel qui nous intéresse), oncle de l’épouse et qui a une « amitié singulière » pour sa nièce Louise ; il lui fait une donation de 20 000 livres, « à prendre sur ses biens présents et à venir, dont le payment sera fait sitôt son décès et cependant il se chargera d’en payer cinquante au denier vingt deux, à compter du 1er dudit mois de janvier 1689 ».
Références
[Cha94] L’essentiel des informations sur le bâtisseur de l’hôtel, Paul Ardier et sa famille sont issus des travaux de Mme Agnès Chablat-Beylot, Une famille de financiers au XVIIe siècle : les Ardier, seigneurs de Beauregard, Thèse de l’École des Chartres, 1994. Arch. Nat. AB/XXVIII/1009. Grâce à elle, nous avons un accès aisé aux transcriptions de ces devis si précieux, mais si difficile à déchiffrer pour un amateur. D’une manière plus générale, son travail, permet de mieux appréhender la vie et le milieu de ces très riches financiers.
[Hil63] Jacques Hillairet et son Dictionnaire historique des rues de Paris, aux Éditions de Minuit reste bien sûr une référence incontournable, permettant d’appréhender rapidement l’essentiel de l’histoire d’un lieu précis, mais on apprend, au fil des recherches, à se méfier des petites inexactitudes.