Histoires de portail

La porte cochère et le portail se doivent de signaler au passant, par leurs aspects monumentaux, un peu comme un arc de triomphe, le train de vie des habitants de l’hôtel. Contrairement à la majorité des habitations qui ne comporte qu’une porte piétonne, le portail implique la possession d’une monture ou d’une voiture. Les propriétaires de l’époque y attachaient donc une grande importance.

De quand date le portail qui se dresse rue Beautreillis ? Nous avons vu que Paul Ardier prend le soin de bien décrire les caractéristiques du portail qu’il souhaite pour son hôtel, mais il est sûr que le décor actuel est fort différent d’un décor Louis XIII aux panneaux cloutés, un peu comme la porte voisine au 4, rue Beautreillis. Le détail de ses vantaux sculptés le rapproche de ceux du petit hôtel Le Mayrat, 11, rue Barbette [Str02] d’époque Louis XV.
Le heurtoir, préservé sur le portail avec sa platine telle un éventail de dentelles, est d’un style qui était en vogue au XVIIIe siècle. Il est situé sur la porte pour piéton qui s’ouvre dans le vantail de droite. Une sonnette d’une époque plus récente est encore en place, mais ne permet pas plus que le heurtoir de s’annoncer.

Un lien avec l’hôtel de Lesdiguières ?

Plusieurs ouvrages relèvent que l’hôtel Raoul incorpora des matériaux provenant de l’hôtel du riche financier de la Renaissance, Zamet, dont, semble-t-il, le portail de la rue Beautreillis et l’horloge aux dauphins, objets de nos préoccupations . Il reste à vérifier ces dires et à retrouver l’époque de ces ajouts : est-ce au 18è siècle lors de la reconstruction de l’hôtel de Lesdiguières ? Est-ce lors de la démolition de l’hôtel de Lesdiguières en 1877 lors du percement du Bd Henri IV ? Lors d’une conversation récente, la dernière habitante et propriétaire de l’hôtel Raoul, évoquant les habitants célèbres qui l’avaient précédé dans l’hôtel Beautreillis citait, M Chaumier mais aussi Gabrielle d’Estrée, la maîtresse d’Henri IV : il est intéressant de constater cette erreur – la belle Gabrielle est indubitablement liée à l’hôtel Zamet – qui renforce ce lien ténu entre les deux hôtels.

L’Hôtel Zamet ou de Lesdiguières
Zamet, originaire de Lucques (Toscane), fils d’un cordonnier, débuta comme valet de chambre d’Henri III et fit fortune. Il prêta de l’argent à Henri IV, et devint néanmoins son ami. Il se fit construire un somptueux hôtel vers 1585 sis 10 rue de la Cerisaie dont les jardins s’étendaient jusqu’à la rue St Antoine. Cet hôtel fut détruit puis rebâti en 1740. Le portail qui nous occupe proviendrait de cet hôtel Zamet bien plus ancien donc que l’hôtel Raoul sur le terrain duquel nous habitons. Ce portail, alors partie de l’hôtel de Lesdiguières – du nom de son propriétaire en 1614, qui l’avait acheté aux enfants de Zamet – a vu passer Pierre le Grand, tsar de Russie qui logea ici en 1717 (plaque sur la façade). Il a été témoin de cette scène : le jeune Louis XV, âgé de seulement 7 ans, vint rendre visite à son hôte russe. Se pose alors une question de préséance : qui des deux souverains s’effacera devant l’autre pour entrer le premier ? Pierre résolut cette question en prenant l’enfant dans ses bras [Hil63].

Le dernier indice qui montre que des travaux importants furent menés par la famille Pinon est constitué par les motifs des balcons en fer forgé de style Louis XV [Gad94] qui ont été réutilisés pour certaines des fenêtres de l’immeuble actuel.

Parmi les rares vestiges qui subsistent de l’ancien hôtel il faut signaler l’horloge qui surmontait la porte d’entrée principale dans la cour et qui a été reposée sur la façade de l’immeuble moderne rue Beautreillis. Un autre témoin est une de ces petites statues qui ornaient les coins des terrasses en bout des ailes de l’hôtel. L’une d’elles se trouve au coin de la terrasse au 6e étage au-dessus de l’horloge.

L’horloge aux dauphins a été démontée lors de la démolition de l’hôtel Raoul. Elle a été replacée sur la façade de l’immeuble moderne. Elle aussi espère une restauration dont elle a grand besoin. Une des petites statues qui ornaient le coin des terrasses et dont l’une a été disposée sur le balcon du 6e étage.

Références

[Gad94] Alexandre Gady est un grand spécialiste de l’histoire du Marais et de son architecture. Il écrit : « L’immeuble qui [le] remplace l’hôtel Raoul est une des hontes du Marais. » Ce verdict sans appel sur l’immeuble où j’habite est pour beaucoup dans ma motivation à sauver ces vestiges. Par la suite, ses encouragements m’ont été très valables, et ses ouvrages permettent de se retrouver dans les styles architecturaux. J’ai plus particulièrement consulté son livre, Le Marais, Éditions Carré, 75011 Paris, 1994.

[Hil63] Jacques Hillairet et son Dictionnaire historique des rues de Paris, aux Éditions de Minuit reste bien sûr une référence incontournable, permettant d’appréhender rapidement l’essentiel de l’histoire d’un lieu précis, mais on apprend, au fil des recherches, à se méfier des petites inexactitudes.

[Str02] Marianne Ström, Le Marais, Héritage architectural, Paris, 2002