Le lotissement du domaine royal

La désaffection royale commence dès le petit-fils de Charles V et l’hôtel Saint-Pol est l’objet de démembrements partiels, un roi reprenant ce que son prédécesseur avait temporairement accordé. Ceci était d’autant plus aisé que cet hôtel, bien que royal, n’était pas constitué d’un seul palais comme le Louvre ou Versailles, mais d’une juxtaposition de bâtiments pouvant être loué ou donné à des serviteurs méritants. Cette situation perdura 120 ans, jusqu’à ce que François 1er, à court d’argent, décide de vendre par lots plusieurs hôtels royaux « viels, inutiles, inhabités et délaissés en ruyne et décadence » qui ne faisaient qu’ « encombrer, empescher et defformer grandement » la ville de Paris.

Plan dit de Saint-Victor dressé vers 1550. Au premier plan la façade de l’ancienne église Saint-Paul, son cimetière accolé. L’église et le cloître du couvent des Célestins sont bien reconnaissables ; on ne peut toutefois être assuré de l’exactitude topographique de ce plan,mais il semble que les constructions occupant à cette époque le pâté de maisons (entouré de tirets bleus) sont en périphérie. La rue Beautreillis ne prolonge pas encore la rue Girard Beauquet.

Pour permettre l’accès aux lots, de nouvelles rues furent percées entre les rues Saint-Paul et du Petit-Musc, ces dernières préexistant avant Charles V. Les adjudications de l’hôtel de la Reine eurent lieu les 29 janvier et 13 mars 1544. Toute la surface était divisée en 36 lots de formes plus ou moins rectangulaires de 6 ou 7 toises (1 toise = 1,94898 m) sur la rue et d’une quinzaine de toises en profondeur. L’hôtel de Beautreillis ne fut démembré qu’en 1554 et à cette occasion fut percée la rue Beautreillis dans le prolongement de la rue Girard Bocquet ouverte dix ans plus tôt, ce dernier morceau gardant son nom jusqu’en 1832. En effet, trois acquéreurs, Claude Girard, son beau-père Guillaume Le Peuple (bien placé puisqu’expert pour l’hôtel de la Reine avant l’adjudication) et Jehan Bocquet, furent particulièrement actifs dans ces adjudications puisqu’à eux deux ils se retrouvèrent en possession de la quasi-totalité des terrains compris de nos jours entre la rue du Petit-Musc, la rue Charles V, la rue St Paul et la rue des Lions St Paul. Claude Girard était charpentier du Roi et était même l’un des 24 jurés de sa profession [Mirot], Jehan Bocquet, son beau-frère, était marchand de bois comme plusieurs des autres acquéreurs. En se concentrant sur le pâté délimité par nos actuelles rues du Petit-Musc, Charles V, Beautreillis et des Lions St Paul – respectivement nommés à l’époque, du Patit-Musse, des Trois Pistolets, Girard Bocquet et des Lions – on voit que les six lots (11, 12, 13, 24, 25 et 26) ont tous été adjugés à Claude Girard pour la somme globale de 403 livres 10 sols et pour une surface totale de 647 toises carrée (soit 2 459 m2). Sa forme trapézoïdale, dictée par la préexistence de la rue du Petit-Musc est bien celle que l’on connaît toujours aujourd’hui.

Les rues du quartier

Le pâté de maisons dont l’hôtel Raoul occupe le centre est délimité aujourd’hui par quatre rues : des Lions-Saint-Paul, Beautreillis, Charles V et du Petit-Musc. La rue du Petit-Musc, de la Pute-y-Muse en 1358 n’a presque pas changé de nom (elle se voit nommer rue des Célestins sur le plan de Saint Victor), en revanche toutes les autres rues ont reçu des dénominations changeantes. La rue des Lions-Saint-Paul a pris la place de l’allée séparant le logis du roi de celui de la reine et était nommée initialement rue des Lions. La rue Charles V ne porte ce nom que depuis 1864, précédemment ce segment de chaussée entre les rues du Petit-Musc et Beautreillis, s’appelait rue des Trois-pistolets, tandis que l’autre partie, percée au cœur de l’hôtel de la Reine, s’appelait la rue Neuve Saint-Pol. Enfin la portion de rue où se trouve le portail Raoul, s’est appelée jusqu’en 1838, rue Gérard-Bocquet, avec toutes les orthographes imaginables (Girard, Beauquet…), en souvenir un peu trahi de nos deux acquéreurs de lots. L’adresse de l’hôtel était, 4, puis 6, rue Gérard Bocquet et enfin 6, rue Beautreillis.

En dépit de la réglementation qui enjoignait d’y bâtir au plus vite, il semble bien que dans un premier temps cet espace n’ait servi, en tout ou partie, que d’entrepôts, de « chantier » pour le bois de notre charpentier ; cette activité se retrouvera en la personne de Guillaume Philippe, marchand de bois, voisin en 1605, des propriétaires des logis objets de nos études. Encore plus tard, un François Girard, toujours marchand de bois, décédera rue des Trois Pistolets. Est-ce si surprenant que ces charpentiers entreposent leurs poutres et leurs madriers à proximité du fleuve d’une part qui les apporte des forêts et des nombreux chantiers de constructions où ils opéraient. Bien plus tard d’ailleurs l’île Louviers, au bout de la rue du Petit-Musc, servira aussi d’entrepôt pour le bois.

Référence

[Mirot] Léon Mirot, Formation et démantèlement de l’hôtel St Pol, La Cité, tome III p.232-35, 1906-07